Porc, Vin, Voile,...

Porc, Vin, Voile,...


A tout seigneur, tout honneur: le tabou suprême en islam porte sur le caractère Un et indivisible d'Allah. Dieu est "Un, prêche le Coran, Il n'engendra, ni ne fut engendré". Associer au Roi de l'Univers quelque entité que ce soit, divinité, soleil, lune, étoile, prophète, saint, roi, animal, arbre, rocher, condamne l'"associateur" à la mort ici-bas, au feu éternel dans l'au-delà. Le crime de lèse-unicité divine bannit de la Maison de l'Islam le pécheur impénitent. Le premier "pilier" de la religion de Mahomet ne consiste-t-il pas en la profession de foi :

"Je témoigne qu' il n'y a de dieu que Dieu. Je témoigne que Mahomet est son Messager" ?

Le fidèle la récite à tout moment, au réveil comme au coucher, en prenant la voiture ou l'avion, avant de subir une intervention chirurgicale. Au croyant qui agonise et ne peut l'articuler, on lève l'index droit vers le ciel, pour désigner du doigt Je Créateur Un. Il suffit à un "infidèle" de la prononcer devant un imam+, pour devenir aussitôt un musulman à part entière. L'islam, qui ignore le péché originel, érige l'attentat à l'unicité du Créateur en interdit primordial, le seul qui soit impardonnable. L'adulte, sain d'esprit, qui délaisse l'islam pour une autre religion, devient un mourtad, un apostat qui se "rétracte" après a voir "témoigné" de l'unicité d'Allah et de la mission de son prophète.

La charia, la loi islamique, accorde juste trois jours à l'égaré pour revenir "sur le sentier d'Allah". Le cas échéant, il sera mis à mort et enterré sans sépulture. Cette sanction, que l'Empire ottoman+ supprima par un firman (édit) de 1844, ne reste en vigueur qu'en pays où la charia tient lieu de législation. Le meurtre délibéré d'un innocent relève de la même "rebellion" contre Dieu, matrice de l'âme humaine. Tuer un homme, n'est-ce pas éteindre une étincelle de la "Lumière du ciel et de la terre" ? L'âme, ce don d'Allah, le couple qui veut procréer ne doit la recevoir en dépôt qu'à l'intérieur du cadre conjugal. En vertu de quoi, le mariage passe pour réaliser la "moitié de la religion", la fornication pour un péché mortel, passible de la peine capitale. L' associateur, l'apostat, le meurtrier et le fornicateur compromettent donc leur destin sur terre comme au ciel. Seul le premier perd toute chance de s'en tirer. Aujourd'hui, le reproche d'"association" vise surtout le culte bahaï+ et la secte Ahmadiya, apparus au milieu du siècle dernier, le premier en Perse et le second en Inde. L'un comme l'autre proposent une religion ultime qui prétend clore la chaîne de la révélation remontant jusqu'à Adam. Leur message pacifiste et égalitaire a eu plus de succès en Amérique qu'au Pakistan et en Iran, où l'on ne voit en eux qu'un repaire de relaps. L'apostat, quant à lui, peut "revenir" à Dieu, le meurtrier se repentir, obtenir le pardon de la famille de la victime, réparer le dommage qu'il lui a fait subir.

Le fornicateur, pour sa part, peut s'abriter derrière la charia : celle-ci dispose que le délit doit avoir été constaté de visu (!), l'homme en la femme "comme le calame dans l'encrier" ... Il n'empêche : là où la Loi se montre imprécise, la coutume tranche. Au sud de la Méditerranée, le crime passionnel prédomine encore sur tout autre mobile. Il n'y a de viol de tabou que conscient. L'enfant ne saurait donc pécher, de même que le fou ou, soutient-on en Petite Kabylie, l'adulte saint en grande colère. "L'acte ne vaut que par l'intention " dit l'adage. A partir de ce principe cardinal de l'islam, la tradition a élaboré une grille de lecture serrée de toute l'activité humaine, sacrée et profane. Une façon de passoire doctrinale, filtrant le moindre fait et geste de l'individu. L'intention (niyya) seule fonde ainsi la valeur et la portée d'une action. Tout acte de foi doit résulter d'une profession de foi. Cela a tôt donné une imposante nomenclature, qualifiant le moindre acte. Ce dernier peut ainsi être qualifié d'"obligatoire", s'il relève du rituel prescrit par le Coran ; de "louable", s'il s'inspire du culte. Ceci pour le premier volet de l'inventaire. Le second met en exergue l'acte "blamâble", s'il fait l'objet d'une sanction ; et l'"interdit", lorsqu'il s'agit d'un péché donnant lieu à une peine dans l'au-delà. Entre l'un et l'autre registre, s'insère l'acte "licite" ou "neutre" n'entraînant ni récompense ni châtiment. À la différence du christianisme, qui est d'abord une foi, l'islam - tout comme le judaïsme- cumule foi et loi. Agir bien y revient donc à obéir à Dieu ; faire le mal à le défier. Le Beau, le Bon et le Vrai, civisme et piété, finissent par se confondre en milieu dévot. Rompre le jeûne du ramadan devient une infraction, brûler un feu rouge, un péché. En Arabie Saoudite, la police cléricale tire son nom du Coran : Comité pour l'Incitation au Bien et la Dissuasion du Mal...

Le Mal.

 

Il n'y a toujours point de consensus autour d'une liste donnée de tabous. Un hadith en mentionne sept : associer une entité à Dieu, tuer, forniquer, se livrer à la sorcellerie, prêter à usure, déserter en cas de guerre juste, déposséder un orphelin de son héritage. La tradition a, par contre, délimité entre le "grand" et le "petit" péché. Peu de rapport avec le péché mortel et le véniel de la chrétienté. L'islam étant aussi une loi, que nul n'est censé ignorer - en réalité, le gros de l'Oumma la connaît peu et vit plutôt selon le droit coutumier - , le péché est d'abord une infraction à un code établi. Le rachat de la faute s'obtient soit par une sanction légale là où règne la charia - amende, fouet, peine capitale-, soit par le repentir, assorti de jeûne, d'aumône et de prière. Nul intermédiaire entre le fidèle et Dieu, ni directeur de conscience, ni donc confesseur pouvant absoudre le coupable. Il suffit, pour ici-bas, de purger la peine. Pour l'au-delà, seul Dieu, que nul péché n'atteint, peut pardonner.

Nombre d'oulémas ont tenté d'établir une liste de tabous. Le grand théologien syrien du 14e siècle, l'imam El Dhahabi, en arrête soixante-dix, matière haute en couleur d'un célébrissime recueil au titre éloquent : El-Kabaïr, les "Grands [péchés]" ou mieux les "Énormités ". Outre l'association, le meurtre, la fornication, l'usure, la magie, la désertion, la privation de l'orphelin, le vénérable turban en ajoute une kyrielle touchant tant à la piété qu'au commerce, sans oublier la toilette et le fisc. Le droit coutumier local a enrichi à loisir la nomenclature des tabous. Il en est dont on tient compte en Asie centrale et qu'on ignore au Proche-Orient, quand ce n'est pas le contraire, comme avec l'excision : respecté en Égypte et au Soudan -y compris en milieu chrétien - l'interdit pour une fille non excisée de se marier reste encore inconnu au Maghreb comme en Inde, au Caucase ou en Indonésie, et ce "rite" n'y est pas pratiqué. La prohibition de l'inceste, qui va de soi partout, se prolonge par l'interdit jeté sur le frère ou la soeur de lait : une simple tétée crée un lien de sang !

Les multiples façons de voiler la femme selon les pays

"Je ne laisse pas pour l'Oumma de sujet de discorde plus virulent que celui de la femme", aurait dit Mahomet sur son lit de mort.

Témoin, l'obligation, l'art et la manière de voiler la fille d'Ève en public. Fidèle à un usage sémitique remontant à l'ère assyrienne, le Coran enjoint, par trois fois, à la croyante, de se dérober au regard de tout homme étranger à la famille. Le Livre lui intime de tirer alors sur elle un hidjab, un "rideau", sinon de s'envelopper d'un khimar, un "surtout". Ni plus, ni moins. Aucun détail sur la taille, la forme et le port de l'étoffe. Ni sur ce qu'elle doit couvrir du corps. Il s'agit plus, en fait, du devoir de "se voiler" que de voile. "La pudeur, voilà la vertu cardinale de l'islam", dit un jour l'Envoyé d'Allah. Et comme pour lui donner raison, l'Oumma n'eut de cesse de se déchirer à propos de la femme. Faut-il cacher le visage seul, ou tout le corps ? Faute de consensus, on rencontre un type singulier de voile par pays. Cela va du safsari tunisien, un ample tissu de satin ivoire qui se roule autour de la taille, au bourqaâ afghan, sorte de bure-cagoule de gros tissu sombre réduisant la fidèle à une simple silhouette. Entre l'un et l'autre s'étale une gamme chatoyante, allant du haik d'Algérie au parandjah d'Asie centrale, en passant par la tarhah d'Égypte. Enjeu du duel sans merci que se livrent depuis déjà un siècle l'aile moderniste de l'Oumma et la vieille garde intransigeante, la femme ne sait plus à quel vêtement se vouer. Atatürk, l'architecte de la république turque, le roi d'Afghanistan Amanoullah, le Chah d'Iran, le Tunisien Bourguiba, l'Algérien Boumédiène ont, chacun à sa façon, déclaré "rétrograde et dégradant" le voile féminin. Point de salut hors du costume occidental. Retour de bâton puriste : le voile refait tache d'huile, un peu partout, même en islam d'Europe et d'Amérique. En Occident, il se donne un aspect hybride, combinant le foulard ou la chasuble au pantalon jean et à la parka ! Non sans opposition. Ainsi, à Alger, compare-t-on la croyante voilée de pied en cape à une "404 bâchée", ou, pire encore, à un "sac poubelle " ...

En dehors de l'Iran, de l'Arabie Saoudite et du Soudan qui obligent la femme, même étrangère, à se couvrir au moins la chevelure, Je reste de la Maison de l'Islam ne boude pas, loin s'en faut, la croyante dévoilée. L'islam a plus d'une affinité avec le judaïsme. Ainsi, évite-t-on à Alger de consommer, le même jour, du poisson et du lait : écho déformé de l'interdiction biblique de mélanger le lait et la viande. Plus encore : toujours en Algérie, le saucisson à base de boeuf se dit kachir, corruption du kacher hébreu. La nourriture doit être «pure». Interdit donc de manger du porc ou de la chair d 'un animal non sacrifié au nom du Dieu Un. Grâce à quoi, la charia autorise le croyant à acheter sa viande chez le boucher juif.. .

Quoique interdite sans appel, la dégustation d'alcool reste ô combien fréquente ; surtout en terre sunnite de rite hanafite - Turquie, Asie centrale, Syrie, Liban-, où l'arak, une anisette du cru, coule à flots. Le tabou y réapparaît juste durant le mois sacré du ramadan ... Faut-il rappeler que le littoral algérien produit toujours un excellent vin ? Fort bien implantée en zone viticole, la guérilla islamiste n'y a jusqu'à maintenant détruit aucune cave ! L'islam connaît, en revanche, un tabou dépourvu de base doctrinale : la circoncision. Le Coran l'ignore, la sunna (tradition) en parle à peine, sans l'ériger en acte obligatoire. Et pourtant, jusqu'en ex-Union soviétique athéiste, même l'apparatchik musulman le plus russifié n'y dérogeait point. Or, rien n'empêche un incirconcis de devenir un musulman irréprochable! En tout état de cause, le Coran insiste sans cesse sur la magnanimité d'Allah et sa compassion. Le repentir sincère rachète tout, ou presque.